19 février 2019

Contrôle renforcé pour les mineurs non accompagnés ?


Décrié notamment par les associations mais attendu par les départements, un décret modifie la procédure d’évaluation des « personnes se déclarant mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille ». Le texte permet également la création d’un fichier spécifique en la matière. 

Lien décret : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2019/1/30/2019-57/jo/texte

Malgré les protestations de France terre d’asile ou du Défenseur des droits, un nouveau fichier rassemblant des données personnelles concernant ceux que l’on appelle les « mineurs non accompagnés » (MNA, ex-mineurs isolés étrangers) devrait prochainement voir le jour. Réclamé par les départements depuis longtemps, un décret du 30 janvier 2019 autorise en effet le ministre de l’intérieur à « mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé “appui à l’évaluation de la minorité” (AEM), ayant pour finalités de mieux garantir la protection de l’enfance et de lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France ». Le même texte réforme par ailleurs la procédure d’évaluation des MNA à laquelle les services de l’État peuvent désormais contribuer, sous certaines conditions.

Tour d’horizon de ces nouvelles dispositions auxquelles l’Uriopss Ile-de-France « s’oppose fermement » et qui a suscité l’inquiétude de quelques élus – tel qu’Olga Johnson (UDI-Modem) lors du conseil de Paris réuni le 6 février.

Évaluation des mineurs non accompagnés

Le décret renforce ainsi le concours de l’État à l’évaluation de la situation des étrangers se déclarant mineurs et privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

Concrètement, le président du conseil départemental « peut » – ce n’est donc pas une obligation – demander au préfet de département (à Paris, au préfet de police) de l’assister pour l’évaluation de la situation de la personne au regard de son isolement et de sa minorité. Si ce concours est mis en place, le prétendu mineur est alors en principe tenu de communiquer aux agents habilités des préfectures toute information utile à son identification et au renseignement du nouveau fichier AEM. A charge pour le préfet de communiquer au président du conseil départemental (PCD) les informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne. L’intéressé peut refuser de transmettre les informations demandées. Dans ce cas, le préfet en informe le PCD chargé de l’évaluation. Notons également que, saisie du projet de décret, la Cnil a souligné qu’un tel refus « ne peut légalement et à lui seul, sans examen circonstancié de la situation, emporter des conséquences négatives pour la personne concernée ».

Autre hypothèse : le président du conseil départemental « peut » – ce n’est toujours pas une obligation – solliciter le concours du préfet pour vérifier l’authenticité des documents détenus par la personne.

Sans changement, l’évaluation des MNA s’appuie notamment sur des entretiens conduits par des professionnels justifiant d’une formation ou d’une expérience dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire et se déroulant dans une langue comprise par l’intéressé.

En tout état de cause, lorsque le PCD a sollicité le concours du préfet, il doit lui notifier la date à laquelle l’évaluation de la situation de la personne a pris fin et s’il estime que la personne est majeure ou mineure, le cas échéant privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille. Et, en cas de saisine de l’autorité judiciaire par une personne évaluée majeure, le PCD doit, dès qu’il en a connaissance, en informer le préfet auquel il notifiera la date de la mesure d’assistance éducative éventuellement prononcée par le juge.

Les MNA fichés

L’autre nouveauté du décret tient en l’autorisation du ministre de l’intérieur à créer un fichier à caractère personnel censé « mieux garantir la protection de l’enfance et lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France » mais aussi « prévenir le détournement du dispositif de protection de l’enfance par des personnes majeures ou des personnes se présentant successivement dans plusieurs départements ».

Le décret détaille la nature et la durée de conservation des données enregistrées, les catégories de personnes y ayant accès ou en étant destinataires. Il précise également les modalités de traçabilité des accès et d’exercice des droits des personnes concernées. Notons, par exemple, que peuvent être enregistrés dans le fichier :

  • les images numérisées du visage et des empreintes digitales de deux doigts des personnes qui se déclarent MNA ;
  • leur état civil et leur nationalité ;
  • les références des documents d’identité et de voyage détenus et du visa d’entrée délivré ;
  • les données transmises par le conseil départemental chargé de l’évaluation (numéro de procédure du service de l’aide sociale à l’enfance ; date et résultats de l’évaluation au regard de la minorité et de l’isolement,  le cas échéant, existence d’une saisine de l’autorité judiciaire par une personne évaluée majeure et date de la mesure d’assistance éducative lorsqu’une telle mesure est prononcée) ;
  • les données enregistrées par l’agent de préfecture responsable du traitement.

Préalablement à la collecte des données, la personne prétendue mineure doit être informée du traitement mis en œuvre au moyen d’un formulaire dédié et rédigé dans une langue qu’elle comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’elle la comprend ou, à défaut, sous toute autre forme orale appropriée. Dans son avis sur le projet de décret, la Cnil a rappelé que, « dans la mesure où le traitement projeté s’adresse à des personnes mineures susceptibles de se trouver en situation de grande difficulté, des garanties devront être mises en œuvre afin de s’assurer du caractère effectif de l’information des personnes concernées ainsi que de la bonne compréhension, par ces dernières, des informations transmises ».

 

Peuvent notamment accéder à tout ou partie des données du fichier :

  • les agents des préfectures et des sous-préfectures chargés de la mise en œuvre de la réglementation concernant les ressortissants étrangers, individuellement désignés et spécialement habilités par le préfet ;
  • le procureur de la République territorialement compétent et les personnes spécialement habilitées par ce dernier ;
  • les agents en charge de la protection de l’enfance du conseil départemental compétent, spécialement habilités par le président du conseil départemental.

La durée de conservation est données est encadrée :

  • les données sont effacées du traitement au terme d’un délai maximal d’un an à compter de la notification au préfet de la date à laquelle l’évaluation de la situation de la personne a pris fin ;
  • lorsque le PCD n’a pas procédé à la notification précitée, les données sont effacées au terme d’un délai de 18 mois à compter de leur enregistrement ;
  • les données relatives aux personnes ayant fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative, prononcée par l’autorité judiciaire saisie par l’intéressé, sont effacées dès la notification au préfet de la date de cette mesure. La Cnil a souligné sur ce point « l’importance de cette obligation d’effacement en cas de reconnaissance ultérieure de minorité d’une personne initialement évaluée majeure ».

Enfin, les opérations de création, de modification, de consultation, de communication, de transfert et de suppression des données font l’objet d’un enregistrement comprenant l’identifiant de l’auteur, la date, l’heure, la nature de l’opération.  Les informations sont conservées pendant six ans.